Vivre selon les règles ?

Giuseppe SANTOLIQUIDO, Belgiques – Rien ne vaut ce maintenant, Ker, 2018, 135 p., 12 € / ePub : 5.99 €, ISBN : 978-287586-234-1

Dans ses romans précédemment parus, Giuseppe Santoliquido montre des individus profondément marqués par leurs origines sociales, souvent modestes. Dans leur projet de construire leur vie, ils doivent essayer de dépasser ces conditions pour tenter de réaliser leurs rêves ou leurs ambitions.


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C’est toujours cette problématique centrale qui se retrouve dans ce recueil de trois longues nouvelles, dont la première qualité est la cohérence. Les mêmes questions fondamentales se posent aux personnages, mais les réponses varient. Et donc chaque nouvelle doit être lue en fonction des autres.

La première montre les relations difficiles de parents avec leur fils en rupture, toujours prêt à exploser. Est-ce l’éducation qu’ils ont tenté de lui donner ou une maladie qui expliquent ces difficultés ? Ou les changements dans les conditions sociales ?

La deuxième met en scène deux familles, fort semblables, pour lesquelles la vie est une lutte pour donner le maximum de chances aux enfants. Mais entre le narrateur qui accepte, avec une certaine amertume, les contraintes de la vie scolaire puis professionnelle et Manu qui vit en marge, qui pourra se dire le plus libre ?

L’action de « Rien ne vaut ce maintenant » se situe le mercredi 23 mars 2016, le lendemain des attentats qui ont endeuillé la Belgique. L’histoire de Marylise et de Yacine n’est pas liée directement à cette tragédie, mais celle-ci constitue une toile de fond qui permet de mieux comprendre les enjeux de leur propre existence.

À tous les protagonistes se pose la même question : peut-on vivre selon les règles ? Les codes des sous-groupes sociaux peuvent-ils prévaloir, au détriment de ceux qui bon gré mal gré acceptent des règles communes avec toute leur part de pesanteur ? Se pose parallèlement la question de l’intégration lorsque l’on vient d’ailleurs. Cette interrogation était déjà au cœur des romans précédents. Dans ce recueil, elle prend un relief particulier, entre autres par l’opposition entre deux familles. Celle du narrateur et celle de Manu qui, venant du sud de l’Italie, a fait son chemin, pas toujours simple, entre intégration à la société belge et fidélité aux valeurs de la culture d’origine.

Yacine vient aussi d’ailleurs, d’une famille nord-africaine, et a, difficilement, réussi à trouver une place fragile dans la société. Il a alors des mots très durs, non seulement pour les auteurs des attentats, mais aussi pour ceux qui ont laissé proliférer « ces milliers de petits cancers ». On n’a pas combattu à temps certaines idées : « on a laissé croire à ces jeunes qu’ils avaient le droit de les penser, de les véhiculer en raison de leurs particularités culturelles, ethniques, religieuses, au nom de la diversité ». Et Yacine sait qu’au bout du compte ce sont les types comme lui qui paieront les pots cassés. Propos durs, mais pertinents, mis dans la bouche de ce personnage, qui doivent être compris en fonction des exemples repris dans les autres nouvelles.

Dans ces contextes sociaux, la filiation prend une résonnance particulière. Que représente la transmission et quelles valeurs transmettre ? Mais aussi, comme fils, peut-on aller à l’encontre de l’honneur et des ambitions des parents, en risquant éventuellement de se perdre ou de les perdre ? Pour cela aussi les exemples et les réponses varient.

Une autre interrogation se pose à tous les personnages de fils confrontés aux ambitions familiales : peut-on échapper à la pesanteur de la routine et à son ennui ? Comment sublimer le quotidien ? Quelles sont les ruptures possibles, en se disant « qu’une liberté uniquement guidée par le refus des contraintes n’est pas une liberté » ? Marylise et Yacine se trouvent une solution, en se disant que « tout instant est unique », que chaque geste doit être perçu comme posé pour « la première et la dernières fois ». Et donc, pour reprendre le titre de cette dernière nouvelle de recueil, « rien ne vaut ce maintenant ».

Giuseppe Santoliquido est encore un fin observateur des changements sociaux. Chacune des nouvelles se situe dans un cadre socio-économique dont il montre l’évolution ces dernières années en Belgique, parallèlement à l’évolution des mentalités. Il s’insurge contre l’omniprésence du modèle consumériste dont une certaine image de la voiture est une des composantes, en l’opposant, par exemple, aux « poètes de l’existence », ceux qui prennent « plaisir à écouter ronronner les cylindres d’une vieille anglaise ».

Quelles ruptures sont envisageables ? Comment garder les « possibles ouverts » ? Et cela en sachant d’où l’on vient et sans le renier. Le recueil explore finement différents schémas de réponse, sans être aucunement assertif.