Des barreaux aux fenêtres, Fidéline Dujeu, Ker, 2014
Bien sûr, les Prix littéraires sont toujours (ou presque) décernés à de bons romans. Certains romans cependant, plus discrets, sont parfois bien meilleurs ou tout au moins plus nutritifs. Ainsi Des barreaux aux fenêtres de Fidéline Dujeu, paru il y a peu aux éditions Ker. Un de ces livres que l’on hésiterait à présenter tant on craindrait d’en abîmer la délicatesse ou trahir le silence. Un livre qui vous chuchote à l’âme. Une superbe couverture d’abord dans les tons bleus et gris, une photo de Martine Cornil, pour raconter un enfermement et une libération en une centaine de pages, pour raconter un rêve d’abandon et de grande paix, un rêve de Dieu peut-être, entre solitude et contemplation.

Destins croisés d’Elisabeth dans sa vie ordinaire de femme au foyer, et celui de Sibylle dans sa vie de carmélite recluse. Peut-on dans l’enfermement trouver une liberté ? Et c’est l’ombre lumineuse de Thérèse d’Avila et la clarté du Cantique des Cantiques qui plane sur ces deux vies ouvertes et fermées, comme quand on se perd pour se trouver. Elisabeth qui rencontre Sibylle, ex-carmélite, et que le témoignage bouleverse, comme un miroir d’elle-même. Sibylle et ses 18 années de claustration, d’absence au monde, de présence à Dieu, entre prière, contemplation, suicide charnel et obéissance à supporter d’impitoyables sévices, ceux voulus par la règle carmélite, car l’âme n’a pas à craindre d’aller jusqu’au néant, comme le disait Plotin en son temps. Mais Sibylle s’est libérée de cette vie, de ce choix de souffrance, elle a retrouvé le monde et une liberté. Elisabeth, elle, dans sa vie conjugale routinière, entre jalousie et culpabilisation, mais aussi jouissances sexuelles et même extases domestiques, cherche à scier les barreaux. Pourtant, comment sortir d’une salle sans fenêtres ? Elisabeth qui ne parvient pas à quitter son David, Elisabeth soumise quand il veut qu’elle fasse la pute, qui se débat, se tortille et rampe, un asticot à qui il manque des ailes. Mais peut-être que le vide ressemble à du plein…Ou est-ce l’inverse en vérité ?

Un roman magnifique, entre grâce et gravité, sans aucune eau de rose, entre enfer et jouissance, entre délicatesse et brûlure.

Eric Brucher (19/12/14)

Source : http://www.antipode.be/blog/litterature/2014/12/des-barreaux-aux-fenetres-fideline-dujeu-ker-2014/