LE PLUS. La première semaine de sensibilisation sur l'infertilité débute ce lundi. À travers le monde, pas moins de 80 millions de couples en souffriraient. Audrey Malfione et Audrey Leblanc, auteures du "Guide des couples infertiles" (éditions Ker), ont toutes deux dû avoir recours à la PMA. Elles dénoncent ici avec humour et sarcasme les remarques qu'elles subissent au quotidien.

Rozenn Le Carboulec

(crédit : Audrey Malfione)

 

À première vue, nous ressemblons à n’importe quel couple. On travaille, on paie nos impôts, on va tous les ans chez le dentiste pour un détartrage et on passe nos samedis dans le temple de la consommation à la sauce suédoise. Bref, on ressemble à monsieur et madame tout le monde. Sauf que nous sommes le couple sur six qui galère pour se reproduire.

 

Quand on a appris qu’on était infertiles, on ne l’a pas bien pris. C’est vrai quoi, qu’avons-nous fait pour mériter ça ? Rien. Du moins, c’est ce que l’on pensait. On a bien compris que dans notre société, l’accomplissement de chacun passe par la possession d’un grand écran plat, d’un canapé Ingvar et de 2,1 enfants.

 

Et puis à force de lire et d’entendre des gens non concernés par l’infertilité nous donner leurs conseils avisés, on a fini par comprendre qu’il n’y a pas de hasard et que si nous n’avions pas d’enfants, c’était tant mieux. Voici pourquoi.

 

1. La Nature est bien faite

 

C’est la Nature qui a voulu que nous soyons infertiles et la Nature, elle a toujours raison.

 

Alors, quand elle nous dit non, c’est non. Faut pas insister sinon c’est du caprice. Elle a ses raisons que la raison ne peut pas connaître et ce n’est pas pour rien si c’est tombé sur nous et pas sur Marc Dutroux (pédophile notoire).

 

2. Nous avons de gros problèmes psychologiques

 

L’infertilité, c’est bien connu, c’est dans la tête. Surtout quand on est une femme (oui, même quand c’est monsieur qui a des problèmes de spermatozoïdes ramollos, c’est dans les têtes féminines que ça se passe).

 

Déjà, on y pense trop. On est des obsédées du test de grossesse, des psychopathes de la fécondation, c’est bien simple on ne vit que pour ça. D’autant que nous sommes ambivalentes quant à notre désir d’enfant. Consciemment, on veut changer des couches et préparer des petits pots bios mais dans les tréfonds de notre inconscient, on préfère ne pas donner la vie. La faute sans doute à notre mère qui nous a forcé à regarder tous les épisodes de "Ma sorcière bien aimée" quand on était petites. Ou alors, c’est une histoire de complexe d’Oedipe non résolu.

 

Une chose est sûre, on ferait mieux d’aller voir un psy plutôt qu’un gynécologue.

 

3. L’infertilité n’est pas une maladie

 

Eh oui, ce n’est pas parce que nos appareils reproducteurs ne fonctionnent pas correctement qu’on peut faire appel à la  médecine pour nous aider. La preuve, on n’en meurt pas et ça fait même pas mal.

 

Certains diront que la  myopie, les verrues plantaires ou les bouchons dans les oreilles ne sont pas non plus des maladies mortelles et que pourtant on va aussi consulter des médecins pour ça. Laissez-nous rire.

 

Comme si on pouvait comparer la gravité d’une verrue plantaire avec une toute petite endométriose de rien du tout (présence anormale de la muqueuse de l’utérus – l’endomètre – en dehors dudit utérus, entraînant des règles très, très douloureuses et première cause d’infertilité féminine).

 

 

4. Nous sommes des carriéristes individualistes

 

Là encore, ça ne concerne que les femmes. Ah, c’était le bon temps quand on se mariait à 20 ans, qu’on faisait nos enfants dans la foulée (c’est-à-dire quand notre fertilité est au top), que le ménage était toujours fait et le repas prêt quand nos hommes rentraient de leur dure journée de labeur.

 

Mais non, aujourd’hui, les femmes veulent faire des études, avoir un métier qui leur plaît, gagner leur propre argent et l’égalité des sexes.

 

Et pourquoi pas le droit de vote tant qu’elles y sont ? C’est comme ça qu’elles se réveillent à 40 ans ou plus, rattrapées par leur horloge biologique et qu’elles découvrent que leurs ovaires ont déjà prix leur retraite. Bien fait pour elles, tiens.

 

5. Nous avons une moralité douteuse

 

Un enfant, c’est un papa et une maman dans un lit avec la bonne vieille méthode du coït.

 

Pas un papa, une maman, des gynécologues, biologistes, échographistes, infirmières, sages-femmes, à l’hôpital ou dans une clinique, avec de nombreux accessoires (cathéters, spéculums, boites de pétri, échographes, seringues en tout genre, etc.).

 

Ce n’est pas de la reproduction, c’est une partouze médicale (pardon, on dit partie fine, aujourd’hui).

 

Bravo, belle mentalité !

(crédit : Audrey Malfione)

 

6. Nous sommes égoïstes

 

Plutôt que d’adopter l’un des innombrables enfants malheureux qui peuplent notre planète, on préfère se taper des petites fécondations in vitro tranquillous dans l’espoir de vivre une grossesse, un accouchement et soyons fous, élever nos enfants exactement comme le fond les couples fertiles.

 

Alors oui, c’est vrai que l’adoption n’est pas réservée qu’aux couples infertiles, qu’elle est ouverte à tout le monde (y compris, depuis peu, les couples homosexuels) mais on ne voit pas bien pourquoi des gens normaux (c’est-à-dire fertiles et hétérosexuels) iraient se compliquer la vie avec une procédure longue, éprouvante et à l’issue incertaine alors qu’ils peuvent faire tous les enfants qu’ils veulent sans demander la permission à personne.

 

7. Nous sommes d’ignobles eugénistes qui manipulent le vivant

 

Nous ne voulons pas simplement un enfant. Nous voulons un enfant beau (blond aux yeux bleus), intelligent (145 de QI est un minimum), calme et de sexe masculin (wath else ?). C’est toujours ce que nous demandons quand nous arrivons dans notre centre de PMA.

 

Bien sûr, les médecins ne demandent qu’à exaucer nos souhaits mais la loi le leur interdit. Alors on se contente de manipuler le vivant* en tentant de contourner notre problème de fécondité. Et ça, c’est mal, très mal. D’ailleurs on devrait aussi interdire l’agriculture, la vaccination et la contraception pour revenir à l’âge d’or où on vivait nus, d’un peu de chasse et de cueillette ou où on mourrait tous très jeunes ? Ça c’était le bon temps !

 

*Toute ressemblance avec les propos tenus pas un député européen moustachu du parti Europe Écologie-Les Verts serait purement fortuite.

 

(crédit : Audrey Malfione)

8. Nous ferons d’horribles parents

 

Il faut le savoir, nous, les couples infertiles, sommes très têtus. Et malgré les très bonnes raisons citées ci-dessus de ne pas avoir d’enfants grâce à la PMA, on essaie quand même. Et parfois, on réussi.

 

Et là, le constat est sans appel : on est des parents ni pires, ni meilleurs que les autres. On trouve que nos enfants sont les plus beaux, les plus intelligents, les plus drôles, on saoule tous nos amis avec leurs derniers exploits (hihihi, Nénette a dit "agheu beuleu beuleu"). On en aurait même vu arpenter tous les magasins de jouets du département pour trouver un double de Doudou Lapinou et ainsi éviter à leur progéniture le traumatisme de la perte de leur objet transitionnel.

 

Combien de temps allons-nous supporter que ces sinistres individus deviennent des parents aimants comme les autres, les gens normaux (c’est-à-dire fertiles et hétérosexuels) ?

 

Non, vraiment, il faut interdire la PMA pour le bien de tous.

 

 

Audrey Malfione et Audrey Leblanc ont co-écrit "Le Guide des couples infertiles" (Ker éditions).

Source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1370008-infertiles-nous-sommes-egoistes-et-capricieuses-8-cliches-bien-ancres.html