Oser parler de son infertilité

Dix à quinze pour cent des couples qui souhaitent avoir un enfant consultent pour des problèmes d'infertilité. Certains se lanceront dans la PMA, la procréation médicalement assistée et pour beaucoup, ce sera la galère: les échecs, les traitements lourds à concilier avec une vie professionnelle, les maladresses de l'entourage... Rencontre avec deux femmes, auteurs du "Guide des couples infertiles" paru chez Ker éditions: un livre informatif, écrit et illustré avec un humour décapant.

L'une dessine, l'autre écrit, elles s'appellent toutes les deux Audrey et sont confrontées à un problème d'infertilité; elles ont choisi l'humour pour en parler.

Audrey Malfione, l'illustratrice: "Ca permet de garder la tête hors de l'eau tout simplement.  Tout est tellement compliqué, difficile, c'est vraiment une épreuve qu'on nous envoie et si on n'avait pas eu cet humour-là, on serait en dépression sévère; c'est juste l'instinct de survie et ça nous a bien aidé".  

Audrey Leblanc acquiesce et poursuit: "Il y a une blessure narcissique quand on apprend qu'on est infertile qui est assez profonde".  

A.M.: "je pense que l'on vit dans des sociétés où c'est le succès qui est mis en avant.  Il faut avoir du succès dans tout ce qu'on fait et la fonction première pour laquelle on est fait, c'est d'arriver à se reproduire et ça on ne peut pas le faire".

D'espoirs en déceptions

Ce guide se lit comme un roman et pourtant, elles n'ont pas fait l'impasse sur les explications médicales: claires, précises avec, cerise sur le gâteau, un ancrage belge.

Mais ce qui fait surtout la force du récit, c'est que l'on sent le vécu et que l'on soit ou non confronté à un problème d'infertilité, ça sonne juste.

Les maladresses que l'on a tous commis quand on apprend les démarches médicales de proches pour avoir un enfant: "C'est dans la tête. Arrête d'y penser et ça viendra tout seul", "il y a pire que cela dans la vie".  

Les deux Audrey nous expliquent ce qui a été le plus dur dans leur parcours.  A.L. :" L'annonce est particulièrement difficile à encaisser; quand on comprend que ça ne va pas marcher tout seul, qu'il va falloir se faire aider et pas un petit peu, c'est compliqué. Sinon, le plus douloureux, c'est vraiment l'échec, l'impression de vivre au ralenti; c'est long, l'attente en PMA, c'est très très long".  

A.M.: "Un échec en PMA, c'est vraiment comme un château de cartes; on a mis tout l'amour, toute la patience, toute la ténacité à monter étage par étage et au dernier moment, il s'écroule.  Il faut tout ramasser et recommencer".

Penser tout haut...

Non seulement, ces deux femmes parlent d'un sujet qui reste tabou mais elles osent dire tout haut ce que beaucoup n'osent même pas penser tout bas.

Quand on vit un problème d'infertilité, tout le monde autour de vous se met à faire des bébés: "Les célibataires, les moches, les en-couple-depuis-quinze-jours, les toxicos, les alcoolos, les je-comprends-pas-pourtant-on-a-fait-attention, les je-veux-pas-de-gosse, les j'habite-encore-chez-mes-parents-et-j'ai-pas-de-travail, tous vont faire des gosses.  Sauf vous".  Alors des mauvaises pensées surgissent.

AL: "Moi, j'ai culpabilisé comme une malade de ne pas sabrer le champagne à chaque fois qu'une copine était enceinte.  Je devais être ravie pour elle mais non, en fait, je suis très malheureuse pour moi"; ça veut pas dire qu'on est méchante et que l'on souhaite du mal à ces personnes-là; ça veut juste dire qu'elles nous rappellent involontairement ce qui nous manque".  

Audrey Malfione ajoute qu'elles ont abordé cette thématique pour décomplexer les femmes, les hommes qui avaient ce genre de pensée: "Je me disais, mon Dieu, j'ai des pensées atroces, je dois être méchante, jalouse; il y a des sentiments très moches qui apparaissent".

Tout a une fin

Pour Audrey Malfione, le parcours dure depuis cinq ans: "j'ai fait du chemin sur le thème de l'échec.  Ce qui était un sujet complètement tabou au début.  Bizarrement, depuis que je me dis que je peux sortir de là sans enfant , ça va beaucoup mieux.  Même si j'ai tout donné; enfin, que j'aurai tout donné, si ça ne marche pas, je sais qu'une vie heureuse est possible.  

Après huit années de galère, Audrey Leblanc a mis au monde une petite fille, Siloë.  Plus tard, elle lui expliquera qu'elle est née grâce à des donneurs de gamètes: "Ca fait partie de son histoire; le secret ne fait pas du bien et dans la mesure où elle est la première concernée, elle a le droit de savoir". 

Et quand on lui demande si ne pas transmettre un patrimoine génétique, c'est un deuil supplémentaire à faire, elle répond: "un enfant, c'est pas juste un ensemble de gênes, c'est une histoire, c'est beaucoup de désir de ses parents et d'amour et que finalement les gènes, ça ne compte pas beaucoup là-dedans".

Dominique Burge

Source : http://www.rtbf.be/info/societe/detail_oser-parler-de-son-infertilite?id=8956092