Toscane 1928.
Le cirque de Luigi n’est pas du genre flamboyant. Et pourtant, ce que le saltimbanque réussit à faire dans le huis clos minuscule de son chapiteau, Mussolini l’accomplit à l’échelle d’un pays entier. Luigi soupire. Il n’aime pas ce que l’Italie devient.
Mais que peut-il faire, à part ce qu’il sait faire ?...
Sandro… l’Aladin de la troupe ! Mais pas question que Sandro reprenne seul le cirque et cette vie d’errance. Le plus tard possible quand même.
Il faut dire que le convoi du Circo delle Stellen’a pas de quoi susciter l’enthousiasme des foules. Une roulotte brinquebalante tirée par un cheval centenaire et, accroché à celle-là, un second chariot avec les toiles, les mâts, les planches; et tout derrière, Manfred, un éléphant rescapé d’Hannibal, abandonné par les Carthaginois parce que déjà jugé trop lourd, trop lent, trop las.
A l’approche d’un bourg, le chemin descend vers une vallée où l’on devine un ruisseau aux bosquets touffus qui se dressent derrière un mur, celui d’une belle propriété, l’improbable demeure patricienne d’un notable égaré dans ce trou perdu…
-Letizia, que fais-tu là ?
Le convoi approche du muret et les traits d’une jeune fille se précisent.
Une jeune femme prend l’enfant par les épaules et découvre le spectacle des saltimbanques en transhumance…

Sandro parcourt les rues du village en répétant ce texte grandiloquent que Luigi lui a fait apprendre par cœur il y a si longtemps. Héraut d’un empire invisible et tout-puissant, il proclame la bonne parole et de rouler les superlatifs dans sa bouche, de les lancer dans les airs et les regarder rebondir sur les façades fatiguées d’une bourgade qui, comme tant d’autres, a perdu la recette des rêves.
Mais comment continuer à faire rire et rêver dans un pays qui a confié son âme à des assassins, des spadassins du mensonge ? L’illusion qu’offre Luigi n’est pas un mensonge. L’illusion du cirque, si elle est légère, si elle reste l’éphémère instant au terme duquel l’on revient sur terre et l’on considère autrement le réel, l’illusion est alors le plus formidable des secours…
Sandro a toujours écouté ses intuitions, il n’a jamais cru aux coïncidences. Il sait que le monde est gouverné par des lois invisibles et impénétrables, mais il faut être attentif, saisir la chance.
Et Letizia n’est pas encore venue assister au spectacle… Elle reste là prostrée, muette dans la propriété paternelle, assise devant des cubes auxquels elle ne prête pas un regard…
A quelques pas de là… sur la pelouse, Manfred la regarde et quand la jeune fille l’aperçut … comme s’il avait compris ce qui se passait, l’énorme bestiole agita ses oreilles dans un salut exotique.
La fillette poussa un cri minuscule qui pourrait être l’amorce d’un rire…

 
Vincent Engel use de son art de conteur pour nous plonger, une fois encore, dans la Toscane qu’il nous fit découvrir avec Retour à Montechiarro.
Décrivant les dessous d’une société totalitaire, ce nouveau roman jeunesse mêle fiction et illusion.
L’auteur aborde avec poésie une réflexion sur la puissance de l’illusion et du rêve… transportant le lecteur dans le fantastique où magie et force d’imagination auront pouvoir de guérison sur le corps… sur l’esprit.

Source : http://lesplaisirsdemarcpage.skynetblogs.be/archive/2015/11/10/et-dans-la-foret-j-ai-vu-vincent-engel-ker-editions-194-page-8526549.html