Vous avez dit Belgique ?

Yves WELLENS, Belgiques. Zones classées, Ker, 2018, 148 p., 12 € / ePub : 5.99 €, ISBN : 978-2-87586-238-9

Le recueil de nouvelles d’Yves Wellens Zones classées, qui s’inscrit dans la collection « Belgiques » des éditions Ker, s’ouvre par une troublante intrigue autour d’une photographie ancienne : un portrait de groupe, dont il se révèle qu’un personnage a été effacé. « Une absence. Une disparition. Quelqu’un. Quelqu’un était sorti du tableau ». Pourquoi ?… » (« Par la bande »)

Au cours de ces brefs récits, on assiste à l’inexorable dégradation intellectuelle de Ridder, qui a enchaîné une carrière académique de haut vol dans différentes universités et une brillante réussite dans le domaine financier, mais qui, depuis un certain temps, s’égare au milieu d’une conversation, d’un débat, proférant des propos intempestifs, incongrus, avant de reprendre le fil perdu, sans paraître conscient de ses dérapages. Premiers témoins de ces écarts, ses proches, alarmés, s’efforcent de le persuader de ne plus s’exprimer en public et de se limiter à rédiger des articles, de sa plume incisive. Petit à petit, le silence se fait autour de lui. Ridder disparaît des écrans, des ondes, et même des colonnes de journaux. Un praticien renommé entreprend de le « guérir », et semble sur la bonne voie quand, du jour au lendemain, Ridder se mure dans un silence obstiné. Jusqu’à quand ? (« Une onde glacée le long de l’échine »)

Dans le sillage de l’Exposition universelle de 1958, qu’il hanta, comme jeune reporter, devenant bientôt une figure connue de la télévision naissante, nous rencontrons Dars, et suivons son parcours en demi-teintes. Incarnant « le bon ton, à la fois posé et pince-sans-rire », pimenté de trouvailles personnelles, il se sent, les années passant, relégué à l’arrière-plan. Désemparé, Dars se prend à dériver. Et disparaît un jour, au grand dam de Veld, son chauffeur de taxi attitré, ami et confident, qui le cherche dans les bars et clubs familiers, au cœur de la nuit bruxelloise… (« Un décor de carte postale »)

Nous découvrons, sous le ciel d’Ostende, la complicité inattendue entre un inspecteur de police et un pickpocket, devenus, à l’initiative du premier, partenaires d’une opération audacieuse qui nous tient en haleine, de ses rebondissements aux dialogues serrés entre les deux parties, qui s’observent, se jaugent, se défient, s’accordent… (« Parties liées »)

Nous revenons à Bruxelles sur les pas de Bolan, un talent consacré, qui se voit attribuer la décoration d’une des stations de la nouvelle ligne de métro. Une première commande publique. Un jalon, qui implique, pour un artiste à la veine intimiste, un changement d’échelle, de volumes et de perspectives. L’œuvre prend corps lorsque, suite au passage dans son atelier d’un intrus (qui ne nous est pas inconnu), il décide de la modifier. D’y intégrer « un secret vers lequel tout converge ». Or l’inauguration de la station approche… (« Au plaisir de vous revoir entre nos lignes »)

L’auteur de D’outre-Belgique (Luc Pire, 2007), un ensemble de récits envisageant la disparition du pays, est aussi présent ici, à travers trois textes : « Poisson-pilote », « Photo volée », « La patiente ». Dans « Photo volée », une note échappée d’un dossier, portant une date : 2024 et les mots : la fin, provoque l’interpellation des politiques, qui ne s’abritent pas derrière des faux-fuyants. « Ce fut comme si toute la substance de la Belgique avait fondu dans ces trois chiffres (le 2, le 0 et le 4), dont l’un s’était dédoublé. » Plus perçant encore, « La patiente » s’achève par un constat sans appel : « Et le pays expira. »

Ainsi, de la fantaisie à la gravité, de l’imagination colorée à l’âpre pessimisme, Yves Wellens déploie les facettes d’une Belgique plurielle.