Noir d’Espagne

François FILLEUL, Poissons volants, Ker, 2019, 246 p., 18 €, ISBN : 978-2-87586-248-8

C’est le bout du bout du sud d’une Andalousie qui n’a que peu de rapports avec le « divin paradis que l’on dit frivole » chanté par Luis Mariano. C’est un ruban de ville qui s’étire sur l’isthme méditerranéen reliant la province de Cadix au territoire britannique de Gibraltar, séparé par une frontière devenue poreuse  (jusqu’à nouvel ordre, l’ombre du Brexit planant forcément sur le Rocher…). La ville a pour nom La Linea. On y vit assez pauvrement entre débrouille et magouilles et en faisant face plutôt mal que bien à l’invasion permanente de rats, si catastrophique qu’elle contraint même les hôpitaux publics à fermer boutique. Autre invasion plus saisonnière et mieux acceptée, celle des exocets qui fournissent une nourriture abondante mais de piètre qualité, après séchage de ces « poissons volants » accrochés comme des chaussettes aux réseaux de cordes à linge. C’est dans ce contexte andalou bien connu de lui pour y avoir vécu plusieurs années que François Filleul, Borain d’origine et professeur de français à Bruxelles, situe le polar qui lui a valu le deuxième Prix Fintro voué aux « Écritures noires ». Un cahier des charges qu’il n’a pas boudé en massacrant d’emblée au fusil d’assaut sept personnes : des couples d’amis apparemment sans histoire réunis dans une maison de week-end pour leur traditionnel rendez-vous des fêtes de fin d’année. Seuls rescapés de cette tuerie à priori inexplicable : un Belge, époux d’une fonctionnaire européenne et sa petite fille ainsi qu’une sommelière qui, retenue par son travail, est arrivée trop tard sur les lieux pour grossir le bilan macabre.

Pour résoudre ce sac de nœuds, l’auteur engage l’inspecteur-chef Nicolas Fulgor Duran, enquêteur bien dans la tradition du polar actuel que se disputent les flics au sang chaud, méditerranéens par excellence, et les Vikings futés venus des frimas septentrionaux. Grande gueule, mais visité par nombre d’états d’âme, Fulgor Duran, féru d’œnologie (à la fois connaisseur et pratiquant), n’est guère insensible au charme féminin, tout en s’avérant bon père de famille et mari attentionné. Pour l’heure, s’ajoute à ses soucis professionnels, en plus d’une vague de chaleur assoiffante, un codicille de trois nouveaux meurtres sauvages dont celui d’un militant socialiste très populaire. Sans oublier le peu de zèle des autorités pour lui prêter main forte. Mais, bien entendu, la justice aura le dernier mot, malgré de nombreuses embûches et avec le concours d’une pittoresque dondon aussi experte en capture d’informations  sur les « gros poissons » de la magouille locale qu’en chasse-pêche aux exocets.

François Filleul fagote ainsi, avec ce premier roman, un polar socio-politique efficace, non dépourvu d’humour et subtilement atmosphérique, dans un décor assez éloigné des poncifs touristiques exaltant les doux agréments et la munificence solaire  des « costas » de tout poil et de toutes couleurs.

Ghislain Cotton

Source : https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/03/06/filleul-poissons-volants/