Durs comme frères
Yves WELLENS, Cette vieille histoire, Ker, 2018, 152 p., 18 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-87586-227-3
Les fratries sont bien souvent animées de sentiments contradictoires. Rivalités, jalousies et ressentiments le disputent à la solidarité et à la connivence selon une mécanique aux ressorts complexes. Les trois frères Wellens – ce nom nous dit quelque chose – vivent dans des univers distincts. L’un d’eux, le plus célèbre, est un magnat bruxellois de l’immobilier et des affaires, il est entouré d’une cour d’experts divers. Son aura est incontestée, son emploi du temps est minuté, ses apparitions organisées, sa sécurité garantie. Un autre frère, qui a pris soin de se faire appeler de son nom d’auteur, Varens, est un écrivain en vue et il mène une vie plus calme, entre écriture et flânerie, soucieux de ne pas se confondre avec les valeurs du premier qu’il ne rencontre que sporadiquement pour des repas brefs et silencieux. Quant au troisième, Gilles, il a un passé de contestataire, mais semble s’être assagi, même s’il garde lui aussi ses distances.
Un incident va cependant les rapprocher. Lors d’une réception mondaine organisée par Pierre Wellens, une jeune femme au pas assuré fend l’assistance et se dirige vers lui pour lui administrer une gifle magistrale sous les regards médusés. Le service d’ordre intervient immédiatement pour la neutraliser, mais le magnat lui demande de laisser la jeune femme évoluer à son gré. Les choses en restent là, mais les personnes présentes ont été interloquées. Sur toutes les lèvres fusent les questions sur cet épisode : quels sont les motifs à l’origine de la gifle et ceux, plus intrigants encore, de la réaction du destinataire de ce geste ?
Ces interrogations tendent le fil du récit tout entier. Elles conduisent à revisiter le passé familial où il est question d’alcoolisme paternel subi par les trois frères, de squats dans des immeubles rachetés à vil prix, d’une femme richissime maintenue sous la dépendance de médicaments et qui ne serait pas étrangère à la fortune du magnat. Et puis surtout la pression grimpe car un journaliste d’investigation, intrigué par l’épisode de la gifle, est décidé à enquêter sur l’empire Wellens, à dénouer les fils d’un succès insolent. Il prend soin de faire connaître sa détermination aux intéressés. Ses tentatives multiples d’approche du magnat se soldent par des échecs, ce qui ne fait que renforcer la ténacité du reporter. Qui craquera le premier dans cette guerre des nerfs aux enjeux médiatiques et financiers colossaux ?
Ce roman rondement mené au rythme soutenu entraîne le lecteur dans les rues et sur les places de Bruxelles et il se faufile dans les ruelles étroites du pouvoir, entre cynisme et introspection personnelle, dénouant peu à peu les secrets les plus enfouis. Et il nous confirmera qu’il n’y a pas vraiment de gagnant à ce genre de jeu, que la puissance excessive contient le plus souvent les racines de sa propre perte.
Thierry Detienne
Source : https://le-carnet-et-les-instants.net/2018/05/22/wellens-cette-vieille-histoire/