L’art de réussir un attentat

Philippe GUSTIN, Sous la ceinture, Ker, 2021, 222 p., 18 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2-87586-289-1

Philippe Gustin est le lauréat du Prix Fintro Écritures Noires 2020, organisé pour la quatrième fois par Fintro et la Foire du Livre de Bruxelles, attribué sur manuscrit. L’objectif ? Identifier de nouvelles voix d’auteur.e.s de polar belges francophones qui n’ont pas encore publié à compte d’éditeur. Pour cette édition, le jury a retenu un texte qui s’inscrit en pleine actualité (du moins avant l’arrivée de la pandémie de la Covid) : celle du terrorisme, ou plutôt les terrorismes, puisqu’il y est question d’extrême-droite, d’islamisme et d’écoterrorisme…

Ce roman nous arrive précédé d’une bien belle réputation. En effet, parmi la dizaine de juré.e.s de ce prix, figurent des personnalités du monde littéraire belge qui se sont exprimés de manière dithyrambique à son propos. Citons Thierry Bellefroid, présentateur de l’émission Sous couverture sur la RTBF  Jouissif. Déjanté. Politiquement incorrect. Salutaire. Avec Philippe Gustin, le terrorisme devient une arme de séduction massive »), son confrère et complice, Michel Dufranne (« Plus drôle que ne le laisse supposer son sujet, plus profond que ne le laisse croire son humour caustique… Un cocktail audacieux pour un premier roman réussi ! ») ou encore l’écrivain Kenan Görgün (« Un roman qui a de quoi terroriser les terroristes… tout en leur enseignant le sens de l’humour. Et au-delà de l’humour, une vraie vision de notre société et de ses nouvelles tendances de fond. »)

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Venons-en aux faits. Au cœur du récit, il y a Khalid, un esthète de l’attentat, un créatif, qui défendrait volontiers « l’idée d’oscariser les attentats », pris entre une mère qui ignore tout de ses projets et une cousine qui éveille tous ses appétits sexuels mais les réserve à un autre. Comme un aspirant écrivain le ferait à un éditeur germanopratin, il adresse une lettre de candidature au djihad à un mystérieux CEO (PDG en français), grand organisateur d’attentat depuis un appartement parisien branché. Dans son courrier, Khalid se compare à un primo-romancier en quête d’éditeur et la réponse s’inscrit dans le même registre : « Nous vous remercions pour votre demande de revendication, mais votre œuvre ne correspond malheureusement pas à notre ligne éditerroriale actuelle. » Néanmoins, le CEO vient d’assister effaré à l’attentat raté d’un de ses sbires, coincé dans les toilettes du car de supporters qui devait l’amener au stade ciblé, et l’originalité de Khalid a retenu son attention.

Dans la même veine des attentats ratés, il y a également celui commandité par le Chevalier, suprémaciste blanc à la peau d’une « blancheur écœurante », auteur d’un manifeste qui fait référence auprès de ses affidés. Dont Anton qui, malgré un arsenal sophistiqué, échoue lui aussi dans l’attentat qu’il préméditait sur le même stade. En conséquence de quoi le Chevalier passe le restant du roman en… prison.

Ce n’est pas la moindre des ironies caustiques de ce roman de rassembler islamistes et racistes d’extrême-droite dans un même échec. Celui-ci est d’autant plus cuisant qu’au même moment les médias mettent en avant un attentat écoterroriste à Ténériffe qui se distingue par son originalité : un bombardement de matières fécales sur les touristes d’une plage. Ils lancent ensuite, toujours avec succès, une fausse alerte à un tsunami gigantesque sur Edimbourg dans le seul but de parasiter un sommet de l’OPEP. Face à cette concurrence déloyale, suprémacistes blancs et islamistes radicaux décident contre toute attente de s’allier pour jeter le discrédit sur cet ennemi inattendu. À l’origine de l’idée de génie qui leur permettra d’arriver à leurs fins, Khalid est mis en contact avec Erica, blonde suprémaciste superbe et sensuelle, qui n’a pas froid aux yeux. Hélas pour Khalid, la guigne le poursuit et, malgré leur collaboration de plus en plus rapprochée, l’attentat prémédité échoue également. Il y a néanmoins gagné l’admiration d’Erica et plus si affinité.

Plus qu’un roman noir, Sous la ceinture est un roman parodique, caustique et acide à souhait. Les terroristes les plus fanatisés y apparaissent comme de dérisoires pieds nickelés (et heureusement pour leurs potentielles victimes), voire comme des esthètes romantiques égarés dans des luttes marquées du sceau de la violence aveugle et aveuglante. À moins qu’ils n’aient jamais quitté l’enfance, point cardinal de bien des destinées, même et surtout si elle est frappée de multiples frustrations. Un compte à régler avec l’enfance comme le suggère l’illustration de couverture avec ses deux peluches lardées d’une ceinture explosive.

Face à ces trois profils de terroristes, dans cet embrouillamini des terreurs contemporaines (la Covid n’ayant pas encore frappé), se dresse une fonctionnaire onusienne, Evelyn Bright, qui se donne pour mission d’enrayer leur dissémination sur la planète. Lors de son enquête, elle est confrontée au cadavre des deux terroristes ratés et leur découvre une « quéquette incroyablement courte ». Les mensurations de l’attribut viril et les frustrations sexuelles qui en découleraient donnent une nouvelle interprétation au titre Sous la ceinture, moins explosive celle-là. De là à imaginer une explication à leur haine des autres, il n’y a qu’un pas qu’elle n’hésite pas à franchir et élabore d’abord une théorie, une stratégie ensuite pour venir à bout de cette mauvaise engeance. Avec l’aide du Président des États-Unis (rien que ça !), elle est reçue par la Commission du Dictionnaire de l’Académie française qu’elle décide de mettre à contribution. Nous vous laissons la surprise de sa trouvaille… S’ensuit une des scènes les plus grandguignolesques du roman, outre sa dimension invraisemblable, présentant les Immortels (et quelques rares Immortelles) comme de grands enfants qui s’amusent d’un texte de littérature enfantine que leur soumet Evelyn Bright et se disputent comme les garnements d’une classe de primaire. Il n’empêche : Evelyn Bright parvient à les convaincre de participer à sa stratégie et, dans la foulée, à déstabiliser les porteurs de haine et de terreur. Car, et c’est une des leçons du livre, « quand tout commence à faire peur, c’est que plus rien n’effraie vraiment ».

Mené tambour battant, truffé de trouvailles incroyables, débordant d’humour potache et de piques caustiques, ce roman met également le doigt là où saignent nos sociétés contemporaines. L’air de rien et armé d’un bon sens potache, l’auteur amène à réfléchir à la montée en puissance, même quand il les tourne en ridicule, de tous ces extrémismes et à la manière dont la démocratie témoigne d’une dangereuse impuissance face à eux.

Michel Torrekens

 

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