Récit d’un Je
Émilie GÄBELE

L’enfance ? Une période unique où se mêlent insouciance et joie de vivre. Pour Yves Wellens, le « vert paradis de l’enfance » décrit par Charles Baudelaire a vite cédé sa place à un vert bouteille, un vert assombri par les nombreuses fioles vidées par son père.

Yves Wellens nous propose un récit autobiographique à la troisième personne. La confusion n’en est que plus belle puisque le héros s’appelle Je. Cet usage crée de curieux effets grammaticaux qui n’en sont que plus savoureux. Au fil des pages, se succèdent des souvenirs d’enfance, des anecdotes se déroulant dans un quartier du nord de Bruxelles. Il est question du cinéma du coin, des films qu’on y découvrait, de l’opération à cœur ouvert de Je à quatre ans et demi, des livres qu’il dévorait, d’une cosmonaute à qui il a serré la main, des lieux qu’il fréquentait, comme le Parc, des sports qu’il aimait pratiquer, de la lecture devant toute la classe de l’un de ses textes par son professeur de français… C’est tout un pan de l’Histoire qui nous est conté à travers ce récit de vie, celui des années 60, des révolutions naissantes, de la seconde guerre mondiale encore présente dans les esprits… Par bribes, nous suivons les rumeurs du monde, les actualités diffusées à la radio, les films ou feuilletons télévisés de l’époque. Au-delà, ce récit est presque une fresque familiale. Chaque membre de la famille a droit à son introduction : le père alcoolique, la mère qui a tenté de fuir cet homme et de protéger ses enfants, la sœur handicapée et trop vite envolée, le grand-père maternel et ses exploits pendant la guerre, et puis le héros, Je. Ce dernier bégaie affreusement. Ce handicap langagier et incontrôlable laisse place au silence, mais aussi à l’observation. Peu à peu, l’écrit prend le dessus, se révèle au grand jour et laisse place à une nouvelle aire. Celle de la prise de conscience du monde, de soi, celle de l’âge adulte, celle de l’existence par l’écrit.

En si peu de pages, Yves Wellens parvient à nous transporter au cœur de sa propre existence, au milieu des découvertes, des événements marquants ou anecdotiques, rythmés par les jours de la semaine qui s’écoulent. Le livre est magnifiquement illustré par trois dessins de Noam Van Cutsem.

Source : http://le-carnet-et-les-instants.net/2015/01/28/recit-dun-je/