Dans le prisme de Rio

Evelyne HEUFFELPalmes dans l’azur. Roman bossa-nova, Ker éditions, 2016, 180 p., 12 €
Il est des auteurs de chez nous dont la terre d’élection – réelle et littéraire – se situe bien loin des banquets à la Bruegel, des canaux de Bruges ou des pavés bruxellois. Illustratrice, traductrice et écrivaine, Evelyne Heuffel s’est laissée charmer par le Brésil à 18 ans et y a posé ses malles dès 1981, d’abord sur la cote de Recife puis plus au Sud, à Rio de Janeiro. Il y a fort à parier que le regard que pose sa candide héroïne – débarquée à Rio en 1967 autant par amour pour Otávio que par curiosité pour ce pays singulier – sur une Rio tantôt mouvante, tantôt émouvante, tantôt décevante doit peu ou prou à la propre expérience de la romancière à la lisière de l’adolescence.
Dans Palmes dans l’azur, toute une jeunesse faussement désœuvrée – le petit ami de la narratrice l’abandonne toutes les nuits, mais elle découvrira à rebours que c’était pour se livrer à des activités révolutionnaires, tout comme son amie Zazá – a les sens et les idéaux aiguisés par les films de la Nouvelle Vague qu’on projette dans les cinémas de quartier, par les chansons Jovem Guarda, ce mouvement musical brésilien typique des années 60. Si Evelyne Heuffel distille ces références, c’est pour mieux teinter le récit de ce sentiment contrasté de mélancolie propre à la bossa-nova ou à la saudade. Tout comme Anna Karina dans Pierrot le Fou, sa protagoniste, écrasée par les sensations que provoquent la ville et la lumière, ne demande au fond qu’à vivre son lot d’expériences, rayonnantes ou tragiques.
Son viatique viendra de Madre Harrington, une nonne américaine hors-du-commun qui l’emmènera dans les bidonvilles, loin de son attente amoureuse. Confrontée à une famille de favelados qui laisse à son triste sort Robinson, un nouveau-né dont mère et père se sont plus ou moins évaporés, la jeune femme y gagnera en lucidité, débarrassera progressivement Rio de la fine pelure d’insouciance dont elle l’avait jadis parée. Emmenée ensuite par la lumineuse Zazá dans sa famille à Petrópolis – ce quartier chic où Stephan Zweig termina ses jours – elle sera la seule à avoir en main tous les fils qui relient Lena, la tante qui souhaite s’exiler au couvent suite à un incident mystérieux, son mari corrompu et violent, et ce tout jeune enfant qui a imprimé sa marque en elle.
On sort de Palmes dans l’azur avec encore longtemps dans l’oreille la musique singulière qu’y imprime son auteure, entre troubles jeux de perception et charme des premiers vacillements émotionnels.

Anne-Lise REMACLE