Entre-chats sur un air de Brabançonne
Frank ANDRIAT, Les politichats, Ker, coll. « Belgiques », 2019, 120 p., 12 €, ISBN : 978-2-87586-244-0
Il a beau dire, l’ami Frank, que ces nouvelles « ne sont en rien un portrait exact de leur personnalité » (Celle de ces « stars politiques qui lui (en) ont donné l’idée »)… Pas d’exactitude au sens propre, d’accord, dans ces Politichats signés Frank Andriat mais, à travers neuf textes zoomorphiques, une évocation piquante – et miaulante – des travers et caractéristiques des hommes et femmes publics qui président aujourd’hui aux destinées, certes problématiques, de cette Belgique qui donne son nom à la collection publiée par Ker. Collection qui se veut « un portrait mosaïque » du pays dont la complication est, par confort, par tradition et faute de mieux, happée par l’increvable cliché du « surréalisme ».
On sait depuis Le roman de Renart (avec le rusé Tibert), les Fables de Lafontaine (avec Raminagrobis et bien d’autres), les caricatures de Grandville et jusqu’aux personnages de La bête est morte de Calvo, du Maus de Spiegelman, sans oublier les marionnettes du Bébête Show, combien les animaux se prêtent idéalement à la satire politique. Et, n’en déplaise aux ailurophiles les plus inconditionnels, le chat n’y est pas le gentil minou à sa mémère, mais se signale par ses ruses de séducteur madré (et ce qu’en politique, précisément, on appelle le carriérisme), par son machiavélisme, sa duplicité rentable en croquettes, voire sa perversité.
Toutefois, point de brûlot politicien dans ces textes d’Andriat où tout commence par des chansons : en l’occurrence des extraits de couplets signés Stromae et qui chapeautent chaque étape de cette promenade insolente et gouailleuse dans les parterres du pouvoir, épicée de quelques nasardes, de chatteries malignes et de plus de coups de griffe ludiques que de pattes de velours ou de saignées fatales.
La balade nous mène ainsi de Doudou, le gros chat montois étalé sur son coussin rouge qui fait tourner le combat du Lumeçon à son avantage jusqu’à César, le mistigri râleur d’Anvers (et contre tout), feulant de rage devant les victoires des Diables Rouges, rassembleurs de ceux qu’il s’escrimait à vouloir séparer. Sans parler des tribulations qu’il a connues en Wallonie, chez ces « fainéants » où il avait commis l’imprudence de passer quelques jours. On s’encanaille avec Chtaline, le chat du PTB (« Pour Ton Bien ») pour qui « Le socialisme déconnecté ne passait plus, surtout depuis que pour le défendre, il ne profitait plus de la bonhommie arrosée de Papa ». On aboie à tout bout de champ avec Roquette, la femelle épagneul venue de son asile de Schaerbeek et qui n’a pas sa pareille pour montrer les dents –qu’elle a très acérées – à tous les chats qui ne partagent pas ses opinions.
Et que dire de « La bataille des Ardennes » ? Ce morceau de bravoure où l’on voit Patton, le chat bastognard, défendre son blindé chéri contre les convoitises de Ice, ce frère aîné remonté comme un coucou et féru de ponctualité, alors que Roquette, la chienne adoptée par Philippe et Mathilde, vient mettre son grain de sel sonore dans cette foire d’empoigne pour la joie des touristes qui croient à une attraction montée par le syndicat d’initiative. On croirait du Rossini ou du Ravel tant rien ne ressemble plus aux clameurs déchirantes d’un pugilat de matous que celles des parades amoureuses miaulées dans les partitions folâtres de leurs duels de chats.
Et puis, voici dans toute sa splendeur lyrique, Ovide – comme l’auteur des Métamorphoses, bien entendu – icône intellectuelle et barde sans doute inspiré par les flots tumultueux de la Woluwe, qui cite les poètes avec dévotion, parle en alexandrins une fois sur deux et dont le cri de guerre est « Défi, Défi, Défi ». Lui qui professe volontiers ce credo : « Bourgmestre, président, député et pourquoi pas ministre, je suis tout à la fois et je pourrais être roi ». Son autre rêve serait en somme de planter profond ses griffes rouges dans le fessard, amaigri il est vrai, du Flandrien noir et jaune, ce César qu’il poursuit sans fin d’une vindicte aussi décorative que féroce.
Quant au Charolo Montaigne, en quête de croquettes depuis que Patton et Pacha l’ont affamé en vidant le frigo de Philippe et Mathilde, il repart la queue entre les jambes alors que le couple royal, le croyant coupable de ce chapardage indélicat, le jette à la porte du palais où il avait connu de si belles heures… En attendant la sienne, of course.
Pour conclure ces entre-chats sur un air de Stromae (où l’on lit notamment Tu peux mentir à qui tu veux), c’est à l’enseigne de Jedi en prime (clin d’œil limpide à l’émission d’un benoît Grippeminaud ertébéen) qu’Andriat cède la parole au héros-philosophe de Star Wars qui commente la multiplicité de ses bienfaits semés à tous vents alors que ce « guerrier de lumière » chatoyait bellement dans « l’empire des Chats où tout est force ». Amen.
Honneur aussi à Andriat lui-même qui, avec autant d’imagination que d’aisance et d’humour, retombe toujours sur ses pattes dans ces histoires de chats malgré les embuches et les contraintes du contrat-programme de départ.
Ghislain Cotton
Source : https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/01/01/andriat-politichats/